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21 février 2015 6 21 /02 /février /2015 10:00

Comme ultime contribution en tant que rédactrice de ce blog, le dernier livre de Craig Johnson ne pouvait pas mieux tomber ! Le roman annuel de Craig Johnson, c'est mon petit marronnier à moi, celui qui me fait trépigner à chaque début d'année (et vivement l'année prochaine donc !), et je n'ai pas été déçue par ce septième opus qui m'a fortement impressionnée !

Ce nouveau tome s'avère être très différent des autres volumes puisque Longmire se retrouve séparé de toute sa petite bande habituelle d'amis et de proches, car il doit escorter un convoi de prisonniers. Parmi ces derniers, il y a Raynaud Shade, un tueur sociopathe particulièrement retors et intelligent.

Il se trouve que Shade va parvenir à s'échapper et que Longmire va se retrouver seul pour le poursuivre en plein coeur des Bighorn Mountains, et surtout d'une énorme tempête de neige. En fait, il ne sera pas vraiment seul au cours de sa traque puisqu'il rencontrera différents personnages, dont Virgil, l'indien géant du volume intitulé Les Enfants de poussière.

Tel Dante au milieu des enfers, et face à une nature à la fois terrible et magnifique, Longmire devra franchir plusieurs épreuves et se confronter à ses propres démons... Car ce volume est aussi très littéraire, et ce n'est pas pour rien si le titre de ce volume est emprunté à Shakespeare ("L'Enfer est vide et tous les démons sont ici", sic La Tempête).

Même si l'histoire s'avère moins drôle que les précédentes - pas de dialogues savoureux entre Longmire et son ami Henry ou son adjointe Vic -, Craig Johnson nous embarque tout de suite dans son récit, et l'on tremble à chaque page avec Walt.

Alors, fans absolu(e)s, et les autres, lisez vite le dernier Craig Johnson !

Il ne me reste plus qu'une seule chose à dire : Monsieur Craig Johnson, je vous aime !

-> Tous les démons sont ici, Craig Johnson, traduit par Sophie Aslanidès, Gallmeister, 23,50€.

-> Site de l'éditeur.

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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 10:00

http://www.livredepoche.com/sites/default/files/styles/cover_book_focus/public/media/imgArticle/LGFLIVREDEPOCHE/2013/9782253173618-T.jpg?itok=ch2F86qv"As-tu pensé à la question ? Pourquoi te gardons-nous en cage comme un animal ? Pourquoi t'infligeons-nous ce supplice ? As-tu résolu le problème, Merete, ou devons-nous te punir encore ? As-tu mérité un cadeau d'anniversaire ou un châtiment supplémentaire ?"

Miséricorde est le premier volume d'une série policière parue en grand format chez Albin Michel. Elle met en scène les enquêtes du Département V, une cellule policière danoise, dont la mission est de résoudre des affaires irrésolues. Elle est dirigée par l'inspecteur Morck. Ce dernier a été mis au placard depuis qu'il a échappé de justesse à la mort. Lors d'une intervention, lui et ses trois coéquipiers ont été attaqués : l'un est mort, l'autre, Hardy, est devenu paralysé.

Et donc, Morck en a gros sur la patate depuis ce jour. Il culpabilise d'avoir survécu et de ne pas avoir arrêté les assassins. Devenu ingérable, le Département V s'avère être le placard idéal pour ses supérieurs,  mais c'est sans compter sur l'opiniâtreté et l'efficacité du bonhomme, qui se retrouve par ailleurs secondé par un assistant d'origine syrienne prénommé Assad, absolument pas policier mais qui se révèle diablement efficace !

Leur première enquête concerne la disparition d'une politicienne, Merete Lyyngaard. L'enquête a conduit à un suicide mais le corps de Merete n'a jamais été retrouvé... Le lecteur sait dès le départ que la jeune femme est toujours en vie puisque les premières pages du livre nous montrent Merete, emprisonnée depuis quelques années dans une étrange prison, à la merci de geôliers particulièrement sadiques.

Alors, qu'a donc fait Merete pour mériter tout cela ? Et Morck arrivera-t-il à la sauver ?

La clef de l'intrigue est un peu facile à trouver mais l'inspecteur Morck et Assad sont des personnages très attachants qui donnent envie de lire la suite de leurs aventures, dans le volume intitulé Profanation (qui, je l'espère, aura tout de même une intrigue plus corsée...).

-> Miséricorde, Jussi Adler Olsen, Livre de Poche, 7,90€.

-> Site de l'éditeur.

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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 10:00

"Nul n'est mieux placé que moi pour savoir que la frontière entre réalité et fiction, dans tout récit, déroule ses méandres au coeur même du langage, frontière masquée, insaisissable... et flottante. Le mot même de "réalité" conduit sur des sables mouvants. Qui peut dire ce qu'il désigne au juste, d'un réel qu'on atteste ou d'un réel qu'on produit - image très subjective, qui dépend davantage de l'oeil de l'observateur que de l'objet perçu."

Canevas est un livre très particulier puisqu'il est composé de deux récits qui se rencontrent au centre du livre. 

Deux récits donc, avec deux narrateurs différents :

Amnon Zichroni nous raconte son enfance juive, très ancrée dans les traditions, et ce qui va l'amener à devenir psychanalyste. Amnon possède en effet un don particulier : en touchant une personne, il peut avoir des flashes sur les souvenirs de cette dernière.

Il encouragera un de ses patients, Minksy, à publier un livre sur ses souvenirs pendant la guerre, et le livre deviendra un best seller. Mais un journaliste, Jan Wechsler, démentira le récit de Minsky, en l'accusant d'avoir inventé son enfance dans un camp nazi.

Et l'on retrouve Jan Wechsler comme narrateur de l'autre récit. Curieusement, ce Jan Wechsler-là semble n'avoir aucun point commun avec le journaliste. Il reçoit une valise par coursier, valise qu'il aurait perdue en allant en Israël, sauf qu'il n'a aucun souvenir de ce voyage... Et c'est là que les ennuis commencent.

Le lecteur choisira le texte par lequel il voudra commencer, à moins de lire les deux récits en même temps, ce qui suppose un peu d'organisation car les deux récits sont tête-bêche, mais pourquoi pas.

Personnellement, j'ai d'abord lu le texte sur Amnon Zichroni puis celui sur Wechsler, et j'avoue que cette histoire m'a faite devenir chèvre, au point de me demander si j'avais vraiment compris le roman, et s'il ne fallait pas que je le relise dans l'autre sens ! J'espère que cela ne vous empêchera pas de lire cette histoire car l'auteur fait preuve d'un talent diabolique à brouiller les pistes.

-> Canevas, Benjamin Stein, traduit de l'allemand par Sacha Zilberfarb, Gallimard, 25€.

-> Site de l'éditeur.

Quand je regardais ces patients dans les yeux, quand je les touchais, des gouffres d'angoisse et de solitude s'ouvraient, un chaos d'émotions qu'ils étaient incapables d'exprimer, car ils n'avaient jamais appris à le faire, ni même probablement jamais eu le droit de l'apprendre. Mais presque toujours, au milieu de ce décor de peur et d'épouvante, se tapissait, tremblant, un petit enfant abandonné, qui n'attendait que d'être recueilli, pris dans les bras, consolé, un enfant qui livrait un combat désespéré contre des sentiments qui n'avaient ni direction ni contours. C'était à cet enfant, je le sentais d'instinct, qu'il fallait parvenir. Cet enfant, il fallait faire alliance avec lui, le laisser grandir et s'affermir, pour qu'il trouve une issue à cet enfer d'angoisse."

Extrait pages 125-126

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7 février 2015 6 07 /02 /février /2015 10:00

Wild est un récit autobiographique. Il y a quelques années de cela, Cheryl Strayed a décidé de suivre le chemin de grande randonnée appelé le Pacific Crest Trail, ou "Chemin des crêtes du Pacifique". Son but : parcourir environ 1700 kilomètres, en l'espace de trois mois, de la ville de Mojave en Californie jusqu'à Portland, et seule.

Un projet complètement fou quand on sait qu'à l'époque, elle n'avait aucune expérience de randonneuse. En témoignent son sac à dos surchargé, qu'elle a surnommé avec humour Monster, et ses problèmes de chaussures qui la pourriront tout le long de son périple.

Mais cette folie s'explique car pour Chéryl ce challenge est une rédemption, son chemin de Compostelle.  Après la mort de sa mère, elle avait commencé à devenir borderline, tromper son mari avec des liaisons sans lendemains et tâter aussi de l'héroïne... Elle décide alors un jour de tout plaquer et de partir marcher, pour s'en sortir.

Fan de randonnée, j'étais curieuse de suivre le parcours de la jeune femme. J'ai admiré son courage, qui parfois pourrait s'apparenter à de l'inconscience. 

"Plus qu'à une femme qui vient de randonner en pleine nature pendant trois semaines, je ressemblais à la victime d'un crime bizarre et violent. Des bleus allant du jaune au noir couvraient mes bras, mes jambes, mon dos et mes fesses, comme si on m'avait frappée à coups de bâton. Mes hanches et mes épaules étaient constellées d'ampoules, de plaques rouges, de plaiens enflammées et de croûtes noires à cause du frottement du sac."

Ce voyage sera long, douloureux physiquement (elle ne compte plus les ongles d'orteils arrachés, les bleus...) et mentalement. Mais même si elle voyage seule, elle fait aussi de belles rencontres sur le PCT, des gens qui la soutiendront et l'aideront.

Un détail m'a particulièrement amusée dans son récit : férue de littérature, Cheryl a emporté quelques livres, dont elle déchire et brûle les pages au fur et à mesure de sa lecture, histoire de s'alléger.

Au final, Wild est un roman qui plaira sûrement aux amateurs d'aventures et de grands espaces, mais l'exploit accompli par la jeune femme pourra aussi intéresser les autres.

Et si vous n'allez pas voir le film (avec Reese Witherspoon), lisez le livre !

-> Wild, Cheryl Strayed, traduit de l'américain par Anne Guitton, 10/18, 8,80€.

-> Site de l'éditeur.

Plongée dans ma rêverie, j'ai tendu la main vers une poche sur le côté de mon sac. Quand j'ai tiré sur la fermeture, Monster s'est renversé sur mes chaussures ; la gauche s'est envolée dans les airs, aussi haut que si je l'avais lancée. Je l'ai regardée rebondir - aussi rapide que l'éclair, bien que la scène ait défilé au ralenti-, franchir le bord de la falaise et disparaître sans un bruit entre les arbres. J'ai laissé échapper un hoquet de surprise avant de me jeter sur l'autre et de la serrer contre ma poitrine, attendant que le cours du temps s'inverse, que quelqu'un sorte des bois en riant, secoue la tête et m'annonce que c'était une blague.
Mais personne n'a ri. l'univers, je l'avais appris, ne plaisantait jamais. Il prenait ce qu'il voulait et ne le rendait plus. Il ne me restait qu'une chaussure.
Alors je me suis levée et je l'ai lancée dans le vide elle aussi.

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3 février 2015 2 03 /02 /février /2015 10:00

Berlin, décembre 1989. Stan et Pascal débarquent de Paris pour rencontrer l'Histoire. Mais ce que Stan, le narrateur, va rencontrer, c'est l'amour. Vrai, fort et destructeur. Elle s'appelle Maya, elle est d'origine cubaine, et a grandi dans l'Allemagne de l'Est jusqu'à la chute du Mur. Leur amour sera fusionnel et l'écriture de Wilfried N'Sondé rend admirablement la sensualité de leur relation.

Mais les temps sont aussi politiques et on a beau être idéaliste, on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche. Pour Maya, c'est la découverte du capitalisme sauvage où, passées les premières surprises de découvrir un monde de libertés, on se heurte bientôt à l'individualisme triomphant qui peut paradoxalement faire regretter les solidarités de l'époque communiste. Et à cela s'ajoute surtout la menace des hordes de skinheads déboussolés qui frappent et bien souvent tuent ceux qui ont le teint un peu trop foncé à leur goût.

Et c'est là que N'Sondé est le plus touchant. Lui qui, dans ses trois précédents romans, a toujours eu à coeur d'évoquer l'Afrique et ses origines, se transpose ici dans un personnage dont on ne connaît pas la couleur de peau, mais ce qu'on sait de sa vie d'avant (une vie bien rangée en banlieue parisienne tranquille) laisse présager qu'il n'a jamais été confronté au racisme. Les réactions et la peur que ressent Maya face à ces meurtres le laissent donc impuissant et décontenancé. Le venin de la haine a infiltré leur couple et Stan devient le spectateur de son inexorable avancée.

Malgré ces désillusions, Berlinoise reste un chant d'amour plein de beauté dont les pages émaillées du prénom de la bien-aimée, Maya, célèbrent les joies et la sensualité de cette union enfievrée.

-> Berlinoise, Wilfried N'Sondé, Actes Sud, 18€.

-> Site de l'éditeur.

Un extrait du roman sur la force de la passion amoureuse, où l'on ressent aussi l'atmosphère du Berlin de 1990 :

J'aurais aimé ouvrir grand la porte de chez elle, lui prendre la main pour que nous pénétrions à nouveau le monde comme au commencement. Encore une fois la joie, les virées dans ce café en sous-sol près de Rosenthaler Platz où des groupes inconnus nous faisaient danser toute la nuit entre les murs à nu, le désordre des tables, des chaises et des canapés récupérés dans les brocantes et les marchés aux puces. Des roses étaient accrochées au plafond sur des bandes de gaze jaunies par le tabac. Dans une main une cigarette, dans l'autre une bouteille pour deux, elle et moi enlacés. Et si nous retournions un dimanche d'été sur la colline noire de monde du Mauer Park sous la fournaise d'août, pieds nus sur le gazon, ventres à l'air, nos cerveaux au ralenti, bercés par l'ambiance paisible et affable du karaoké en plein air ? J'avais besoin de revivre la virtuosité de jouir, la surprise chaque fois dans les yeux de Maya lorsque de son ventre s'annonçait le prodige liquide, quand notre union devenait fontaine. C'était l'oubli de soi, la confiance mutuelle, le crépuscule du septième ciel.

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29 janvier 2015 4 29 /01 /janvier /2015 10:00

"Le commissaire Yeruldegger Khaltar Guichy-guinnkhen n'était un cadeau pour personne depuis longtemps."

Deux découvertes macabres ouvrent le récit : celle d'une petite fille, d'origine européenne, retrouvée enterrée avec sa bicyclette au milieu des grandes plaines mongoles et celle d'un groupe de prostituées et de leurs clients chinois, dont les corps ont été atrocement mutilés...

Mis à part le fait agaçant que ce polar soit estampillé "roman policier mongol" (après la mode du polar scandinave, etc.), même si l'auteur n'est absolument pas d'origine mongole (mais je ne remets pas en cause sa connaissance de cette contrée lointaine et si propice au rêve), et une intrigue finalement assez simple malgré de multiples rebondissements, l'attrait du livre réside surtout en la personne de son héros principal - un homme à la dérive comme on les aime si souvent dans les romans policiers - et au rythme plutôt rock'n roll de l'histoire.

Promis, vous passerez un bon moment dans les grandes plaines, et surtout vous découvrirez la recette du boodog, à base  de marmotte !

-> Yeruldegger, Ian Manook, Livre de Poche, 8,30€.

-> Site de l'éditeur.

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24 janvier 2015 6 24 /01 /janvier /2015 10:00

"Depuis Zadig et Voltaire, la mouise a perdu son aura poétique - alors que pendant des décennies elle venait valider l'artiste, le vrai, celui qui a préféré ne pas vendre son âme. Aujourd'hui, c'est mort aux vaincus, même dans le rock."

Vernon Subutex est un vaincu : sa boutique de disques a coulé, il n'a pas retrouvé de travail et l'huissier vient de l'expulser de chez lui.

Pour ne pas se retrouver à la rue, Vernon décide de taper à la porte d'ami(e)s et connaissances, sans vraiment leur expliquer sa véritable situation.

Ainsi débute l'errance de Subutex dans le Paris des années 2010, et c'est l'occasion pour l'auteur de dresser quelques portraits, et il faut avouer qu'elle a un talent certain pour croquer ses contemporains.

Le ton est juste, drôle, parfois caustique, parfois tendre, mais jamais haineux, même si certains personnages n'inspirent pas franchement la sympathie.

Entre un scénariste raté dominé par son épouse, un producteur paranoïaque, un transsexuel brésilien à la redoutable beauté, une clocharde, et bien d'autres, on retrouve aussi La Hyène, la détective privée lesbienne d'Apocalypse Bébé.

Une certaine tristesse transparaît à travers tout le récit. La fête est bien finie, et la réalité se savoure comme un lendemain de cuite...

Mais vivement le volume 2, à paraître en mars !

"Elle est devenue ce que ses parents voulaient qu'elle devienne. Elle a passé son concours, elle travaille à l'équipement, elle a troqué son iroquoise pour un carré discret. Elle s'habille chez Zara, quand elle trouve quelque chose à sa taille. Elle se passionne pour l'huile d'olive, le thé vert, elle s'est abonnée à télérama et elle parle de recettes de cuisine, au boulot, avec ses collègues. Elle a fait tout ce que ses parents désiraient qu'elle fasse. Sauf qu'elle n'a pas eu d'enfant, alors le reste, ça ne compte pas. Aux repas de famille, elle fait tache. Ses efforts n'ont pas été récompensés."

-> Vernon Subutex, Virginie Despentes, Grasset, 19,90€.

-> Site de l'éditeur.

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 10:00

Pas pleurer - Lydie SalvayrePourquoi pleurer quand, au milieu d'événements aussi terribles que la guerre d'Espagne, on a le bonheur de connaître une parenthèse enchantée de liberté, sans souci des conséquences ? Pourquoi pleurer quand, face aux exactions des franquistes, il faut d'abord s'indigner et prendre le monde à témoin ? Ce sont ces deux positions que Lydie Salvayre raconte dans son dernier roman : celle de Montse, sa mère, qui connaîtra l'effervescence de l'émancipation et de l'amour ; celle de Bernanos, l'écrivain de droite bouleversé par les horreurs qu'il a vues à Majorque.

Mais Pas pleurer est avant tout un livre sur sa mère et les pages consacrées à Bernanos, quand elles ne tombent pas un peu à plat, sont surtout là pour mettre ce récit (auto)biographique en perspective. Montse a quinze ans quand la guerre éclate et c'est par son frère Josep qu'elle connaîtra les aspirations libertaires de l'époque et qu'elle ira "à la ville", où la fleur de sa jeunesse s'épanouira.

Pour raconter la vie de sa mère, Lydie Salvayre se met en scène en train de la questionner sur cette période soixante quinze ans après. Ce portrait rétrospectif et le rapport à la mémoire et à la langue qui en découlent sont très émouvants. Car Montse est venue s'installer en France au début de la deuxième guerre mondiale mais des années qui ont suivi et de sa langue d'adoption, peu de choses ont survécu au passage de la vieillesse et aux ruses de la mémoire. Seul cet été 36 est resté intact dans sa mémoire et elle le raconte à sa fille dans un sabir franco-espagnol assez réjouissant. D'autant qu'avec l'âge, les bonnes manières qui l'empêchaient de proférer le moindre gros mot se sont amenuisées...

Un récit touchant sur la mémoire, la filiation et les paradoxes de l'Histoire.

 

-> Pas pleurer, Lydie Salvayre, Seuil, 18,50€.

-> Site de l'éditeur.

 

Un extrait d'un des plus beaux passages du livre, racontant la rencontre de Montse avec un Français de passage. On y retrouve la poésie, la pudeur et l'humour de Lydie Salvayre :

Montse l'aima dès la première seconde, entièrement, et pour toujours (pour les ignorants, cela s'appelle l'amour).
Ils décidèrent d'aller au cinéma dont l'entrée était gratuite depuis que les libertaires s'étaient emparés de la ville. Et à peine installés, ils se jetèrent l'un sur l'autre et échangèrent dans le noir un baiser impétueux qui allait durer pas moins d'une heure et demie. C'était le premier baiser de Montse qui fit ainsi une entrée grandiose sur le terrain des voluptés, devant l'écran où s'affichaient d'autres baisers, bien plus professionnels sans doute, mais autrement parcimonieux.
Et comme rien, depuis juillet, ne se faisait selon les règles antérieures, et comme la morale s'était mise aux ordres du désir, et comme nul ne s'encombrait plus des anciennes contraintes, et comme tous ou presque les envoyaient valser sans l'ombre d'un remords (mais néanmoins un peu d'inquiétude), Montse, après le baiser d'une heure et demie qui était d'une douceur à mourir, accepta sans une hésitation d'accompagner le Français dans sa chambre d'hôtel. et elle n'eut ni le temps ni l'esprit de se demander si les dessous qu'elle portait étaient de circonstance (grande culotte en coton parfaitement anaphrodisiaque et chemisette assortie), qu'ils s'effondraient sur le lit, se respiraient, se caressaient, s'emmêlaient passionnément, et se faisaient l'amour dans une émotion et une impatience qui les faisaient trembler, j'abrège.
Ils retombèrent sur le côté, haletants, en sueur. Se regardèrent comme s'ils se découvraient. Restèrent un moment silencieux. Puis Montse demanda au Français à quelle heure il devait partir. Le Français caressa, d'une main pensive, le contour de son visage et lui dit quelques mots qu'elle ne comprit pas. Il avait une voix tremblée, frissonnante, inolvidable (me dit ma mère). Elle le fit répéter. Il lui redit des mots qu'elle ne comprit pas, ou plutôt qu'elle comprit mais autrement que par leur sens (pour les ignorants, cela s'appelle la poésie).

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15 janvier 2015 4 15 /01 /janvier /2015 10:00

"En ce temps-là, tout était beau et inquiétant."

L'amie prodigieuse raconte l'histoire d'une amitié entre deux jeunes femmes, Elena et Lila, dans le Naples des années cinquante et soixante.

Toutes deux viennent d'un milieu très modeste mais elles sont douées à l'école, surtout Elena qui dévore les livres et apprend toute seule le latin et le grec. Pourtant c'est Elena qui poursuivra ses études au collège puis au lycée, poussée par son institutrice, tandis que Lila devra y renoncer, à cause du refus de ses parents.

Elena, la narratrice de cette histoire, nous raconte cette amitié assez ambivalente, qui oscille toujours entre la jalousie et l'amour. Autant Lila se sent poussée par le talent naturel de son amie, autant elle se sent inférieure à elle. Autant Lila possède une aisance et une beauté effarantes, autant Elena cultive un dégoût de son corps. Et pourtant, ces deux-là s'aiment et se vouent une amitié sans partage.

"Elle était comme ça, elle rompait les équilibres seulement pour voir de quelle manière elle pouvait les recomposer."

L'autre intérêt de ce livre, c'est de nous livrer une peinture de la ville de Naples, une Naples populaire et surtout violente, dans les paroles et dans les relations familiales(l'auteur décrit notamment une scène où le père de Lila, dans une crise de rage folle, lance sa fille par une fenêtre de leur maison !), où les femmes sont constamment surveillées, toujours soumises au joug masculin.

Histoire d'amitié, chronique sociale, L'amie prodigieuse est une belle occasion de lire deux beaux portraits de femmes en devenir.

-> L'amie prodigieuse, Elana Ferrante, traduit par Elsa Damien, Gallimard, 26.50€.

-> Site de l'éditeur.

Lila était méchante : ça, dans quelque recoin secret tout au fond de moi je continuais à le penser. Elle m'avait prouvé que non seulement elle savait blesser avec les mots mais aussi qu'elle n'aurait pas hésité à tuer, et pourtant maintenant ces capacités ne me semblaient plus grand-chose. Je me disais : elle révélera bientôt un caractère encore plus mauvais, et j'avais même recours au terme "maléfique", un mot excessif qui venait des contes de mon enfance. Même si c'était mon côté enfantin qui déclenchait ces pensées en moi, celles-ci avaient un fond de vérité. D'ailleurs, l'idée que Lila dégageait un fluide non seulement séduisant mais aussi dangereux devint peu à peu une évidence pas simplement pour moi, qui la surveillais depuis notre première année de primaire, mais aussi pour tout le monde."

Extrait page 164

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10 janvier 2015 6 10 /01 /janvier /2015 10:00

FÉROCES - Robert GOOLRICKIl est des expériences dont on ne revient pas. Robert Goolrick le sait et le dit douloureusement bien.

Dans Féroces, au titre bien moins évocateur qu’en VO (This is the end of the world as we know it), une blessure à vif car impossible à refermer court du début à la fin. Depuis les soirées insouciantes et alcoolisées des parents jusqu’à l’éprouvante révélation finale de ce qui changea l’enfant à tout jamais.

Dans la famille du narrateur, on aime la distinction et l’élégance. Mais surtout le silence. Ce qui se passe dans la famille reste dans la famille, quitte à en sacrifier l’innocence. Alors Robert, l’écrivain – le narrateur ? – se tait. Se tait mais nous décrit quand même sa famille dans l’Amérique des années cinquante, entre beaux vêtements, coiffures sophistiquées et cocktails en soirée. Beaucoup de cocktails. Il se tait mais nous parle quand même de son alcoolisme viscéral. Viscéral car c’est là, dans ses tripes, dans ses viscères, que se trouve son secret ; et il faut bien le noyer. Et plus le livre avance, plus le poids des mots se fait sentir. Le lien entre le passé de la famille et le présent de narration devient de plus en plus pesant, mais est porté par une langue limpide comme une eau de feu et toujours digne.

Oui, ce livre, que Robert Goolrick a écrit à 53 ans, est autobiographique. C’est son premier roman – même s’il est paru après Une femme simple et honnête – car lorsqu’il s’est assis à sa table pour écrire, c’était évidemment de ça qu’il fallait parler. De ce traumatisme liminaire, de ce secret enfoui dans son enfance qui éclaire sa vie d’une ténébreuse lumière. Et c’est cette souffrance qu’il a réussi à transformer en œuvre d’art et à faire partager à ses lecteurs médusés.

Poignant.

-> Féroces, Robert Goolrick, raduction de Marie de Prémonville, Pocket, 6,20 €.

-> Site de l'éditeur.

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Orphelins de DieuMarc Biancarelli, Actes Sud, 20€